Bon je me lance avec une bio du luthier John D’Angelico, je me base sur le livre de Paul William Schmidt « Acquired of the Angels » (dont le titre est absolument parfait puisque « acquired » serait une traduction acceptable pour D’Aquisto et que « of the Angels » est la traduction de D’Angelico !) à suivre James L. D’aquisto.
John D’Angelico John D’Angelico est né en 1905 à New York, il est le premier des 4 enfants d’une famille d’origine napolitaine.
En 1914 (il n’a donc que 9 ans ! autre temps …), il devient apprenti à l’atelier Ciani (son grand oncle) qui crée des violons, des mandolines et des flat tops sur Kenmare Street (déjà !) : un travail dur, laissant peu de temps libre et mal payé.
A la mort de son grand oncle quelques années plus tard (John n’est qu’un adolescent) il devient superviseur de l’atelier et de sa douzaine d’employés pour le compte de la veuve Ciani. A la même période il prend des cours de violons et de lutherie avec un artiste local : Mario Frosali.
En devenant adulte, D’Angelico manifeste des volontés d’émancipation et à l’âge de 27 ans (en 1932) il ouvre son propre atelier au 40 Kenmare Street.
L'atelier de John reconstitué au National Music MuseumInitialement, il y travaille avec 3 ou 4 employés d’origine italienne, mais rapidement « l’équipe » ne comprend plus que lui et un assistant : Vincent DiSerio (James D’aquisto n’est même pas encore né ! il les rejoindra seulement en 1952 mais on en parlera plus loin !), les premiers instruments sortant de l’atelier sont des violons, des mandolines et des archtops construites sur le modèle de la Gibson L5 de Lloyd Loar.
Les toutes premières archtops D’Angelico sont pour ainsi dire des Gibson « made by » D’angelico avec quelques raffinements esthétiques personnels, petit à petit le style va évoluer en profitant des 18 ans d’expérience acquise avec Ciani et Frosali et des nombreuses réparations qu’il effectue sur les populaires Gibson et Epiphone de l’époque (que le luthier tient en haute estime) ; il distribue aussi les guitares Favilla et les amplis Ampeg d’Everett Hull et, plus tard, les Danelectro de Nathan Daniel.
La D'angelico n° 1002 (donc la deuxième !) "Volpe's Special" (construite pour Harry Volpes : son nom figure en plus gros que celui de D'Angelico sur la tête) d'inspiration GibsonLe travail, difficile, demandait de travailler 7 jours sur 7, avec peu de pauses et rapportait assez peu d’argent à l’atelier : les guitares étaient construites quasi sans outillage, une à une, mais D’Angelico considérait qu’il ne pouvait pas en demander plus que ce que demandait Gibson pour une guitare équivalente.
John ne désirait pas développer son atelier en compagnie, il souhaitait rester libre dans son petit atelier à l’ambiance familiale, pourtant il en a eu la possibilité, notamment dans les années 40 quand Fred Gretsch lui proposa de prendre en charge l’intégralité de la production guitare de la célèbre marque.
D’Angelico souhaitait rester un « vrai » luthier, travaillant à l’unité pour le client ce qui implique que tout est possible d’un point de vue technique ou cosmétique (dans la limite du raisonnable !) c’était un homme calme qui aimait la famille et ses amis, il ne fut jamais marié et détestait par dessus tout voyager, il vivait au 36 Kenmare Street juste au dessus de son atelier.
On l’a vu John joue un peu de violon mais pas de guitare bien qu’il la considère comme l’instrument ultime, ses goûts musicaux s’orientait vers le style chord melody de Benny Mortel et d’Alphonse Valenti mais aussi Django, il n’aimait pas le bop et le cool jazz qui devinrent populaires dans les années 40 et 50.
L’atelier fonctionnait bien et jouissait d’une énorme réputation à New York (et au delà !) puisqu’on pouvait y voir les grands noms de la guitare (Johnny Smith en premier lieu) au point qu’il s’agrandit un peu au début des années 50 (à peu près au moment ou D’Aquisto arrive) mais 1959 marque un vrai tournant …
L’immeuble où est situé l’atelier et l’appartement de John est construit directement au dessus d’une conduite d’eau qui explose causant de sérieux dégats à la structure de l’immeuble qui est finalement condamné … D’Angelico est désespéré, il est hébergé chez son beau frère mais n’a plus d’atelier et pour couronner le tout une dispute éclate entre lui et Vincent DiSerio qui estime depuis longtemps que l’atelier aurait du devenir une compagnie dans l’esprit de Gibson, DiSerio quitte l’équipe et John se retrouve seul avec D’Aquisto, il pense sérieusement à tout arrêter et à vrai dire ne pense pas pouvoir continuer sans DiSerio qui effectuait un travail important dans la conception des instruments (basiquement il effectuait le gros œuvre alors que D’Angelico effectuait toutes les taches sensibles comme sculpter le table et le fond, le chevalet, la finition des manches et la jonction au corps …) D’Aquisto n’était supposé être qu’un assistant faisant les courses, le ménage et quelques petites taches auprès de DiSerio …
En fait tout les jours D’Angelico prenait une pause de 2 heures en début d’après midi et DiSerio voulait en profiter pour faire une pause lui aussi et lire le journal, dans le dos de John, il a donc appris à D’Aquisto toutes les taches qui lui incombait normalement (évidemment Jimmy D’Aquisto était demandeur !) pour se ménager ces 2 heures de tranquilité .
D’Aquisto était donc capable d’assister D’Angelico restait à le persuader de reprendre et ça ne fut pas facile mais finalement un nouvel atelier ouvrit en 1960 un peu plus loin au 37 Kenmare Street.
De 1960 à 1964 la production reprend et petit à petit, D’Angelico apprend à D’Aquisto les taches les plus raffinées de la construction d’archtops car malheureusement sa santé décline : il est victime d’une pneumonie puis d’attaques cardiaques successives qui finiront par l’emporter le 1 septembre 1964 à 59 ans.
Les InstrumentsSans rentrer trop en avant dans des considérations sonore, j’en serais bien incapable n’ayant jamais eu le privilège de poser mes doigts sur une D’Angelico, elles sont réputées pour leur douceur, leur sustain, la clareté et l’articulation et une superbe balance … une petite écoute des disques de Johnny Smith en est peut-être la meilleure despcrition.
Comme on l’a vu plus haut, les toutes premières D’Angelico étaient très proches des Gibson L5 originale dessinées par Lloyd Loar (corps de 16 ‘’1/4 en érable avec table massive en épicea ; manche 3 pièces érable diapason 24’’3/4 ; jonction corps/manche à la 14° case) y compris les finitions très semblables (généralement même configuration pour les binding, brown sunburst, chevalet ajustable en hauteur, touche ébène) les différences se situe principalement au niveau du pickguard déjà original et de l’absence de truss rod qui est alors encore breveté.
Mais très vite le style évolue en intégrant le style « zig-zag » art déco si caractéristique, dès 1934 une gamme se structure autour de 4 « modèles » servant plus de fil conducteur qu’autre chose puisque chaque instrument est unique et que de nombreuses personnalisations sont envisageables y compris au niveau structurel : les manches ont tous des profils différents, la graduation des tables et dos, les barrages, taille de corps etc ...
Style A (et A1), Style B et Excel (Exel pour les toutes premières) :
Ces 3 modèles proposent un concept identique et diffèrent seulement dans leurs ornementations, elles correspondent à la L5 originale (16’’1/4) mais (comme la L5) vont voir rapidement leurs dimensions s’élargir de 16’’3/8 à 17’’5/8 (D’Angelico ne recherchait pas la précision des dimensions, comme D’Aquisto il fabriquait des moules permettant de jouer sur la taille de caisse en haut comme en bas, j’y reviendrais en photo quand j’aborderais D’Aquisto)), les plus beau bois étaient bien sûr réservés à l’Excel, les A et B peuvent être considérés comme des Excel « d’études ».
Une style AUne style BNew Yorker :
Originellement c’est une 18’’ (parfois pour ne pas dire souvent, plus large à la demande des clients), elle dispose aussi de quelques éléments esthétiques spécifiques : « split block » inlays, et « empire state building » inlay sur la tête, plus de binding que sur les A,B et Excel, finalement en 1943 John fabrique une 17 ‘’ portant les attributs d’une New Yorker … à partir de ce moment Excel et New Yorker deviennent des noms de finitions plus que de modèles.
http://www.themomi.org/museum/acoustic/dangelTrio.html
Un beau trio ! de gauche à droite New Yorker 1959, New Yorker Special (Johnny Smith) 1955 et Excel 1953C’est vraiment dans les années 40 que les instruments deviennent visuellement plus riches avec plus de bindings et de nacres, d’ailleurs les modèles A et B sont abandonnés et l’atelier se recentre sur les Excel et New Yorker qui ont la faveur des clients, il existe aussi quelques guitares avec des rosaces ovales ou rondes.
Dans les années 50 le cutaway devient la norme (ainsi que l’amplification des instruments que ce soit avec des micros flottants ou des micros dans la table), D’Angelico s’adapte toujours en se pliant aux volontés de sa clientèle et en adaptant la lutherie : par exemple il faisait des tables un peu plus épaisses pour un micro dans la table avec un barrage parrallèle ; avec les micros les guitares deviennent aussi un peu moins profondes. Ah oui … et toujours plus de bindings et de nacres !!!
A cette période D’Angelico a aussi proposé des guitares en contreplaqué proche des ES175 (en fait des corps produit par Code et United Guitars sur lesquels il joignait des manches fait à l’atelier) et même quelques « semi solid » ressemblant à de grosses Les Paul.
Il y a bien sûr aussi quelques « one of a kind » !!! (et je n’aborde pas la partie mandoline et violon trop peu documentée)
La fameuse et unique "teardrop"Les Bois :
Très classique et sans surprises la combinaison table épicéa, fond, éclisses et manche en érable, et touche en ébène est la norme, il existe toutefois quelques exemplaires utilisant fond, éclisses et manche en acajou.
Les Manches :
Les profils varient beaucoup d’un instrument à l’autre, à noter qu’à la base les manches étaient tous en 3 parties, au fur et à mesure on en trouve en 2 parties et même d’un seul bloc : D’Angelico ne voyait aucun avantage structurel à un manche en plusieurs parties, un manche d’un seul bloc étant moins long à façonner il privilégiait cette solution si le bois le permettait.
On l’a vu les premières guitares n’avaient pas de truss rod mais elles disposaient d’un barre de renfort non réglables (en T puis de forme tubulaire), vers la fin des années 40 quand le brevet Gibson sur le truss rod expire, le système devient standard sur les D’Angelico (sur un principe un peu différent de Gibson d’ailleurs)
Dernière précision : de nombreux manches ont été fabriqué pour remplacer ceux de Gibson ou d’Epiphone de l’époque.
Détails techniques :
- Pour les barrages D’angelico utilisait l’épicéa, au départ D’angelico favorisait plutôt les barrages parallèles, puis au milieu des années 40 on commence à trouver plus de barrages en X, les « linings » sont en peuplier.
- Les graduations des tables et des fonds ne sont pas constantes, elles dépendent des bois, du son recherché etc … elles répondent basiquement à la tradition Cremonaise plus dense au centre et plus fine au bords (à l’endroit du recurve)
- D’Angelico ne sculptait pas spécifiquement la zone du cutaway, il découpait le cutaway après avoir sculpter la table (idem Gibson)
- Les chevalets étaient construits en ébène (très rarement palissandre), très « léger » au départ, il deviennent plus massifs (et parfois incrusté de nacre) par la suite, ils étaient un élément très différent par rapport aux Gibson avec juste un angle particulier pour la corde de mi aigu
- A la base toutes les guitares étaient brown sunburst assez marqué puis d’autres coloris sont apparus et les burst sont devenus plus subtiles
- Les riches Inlays qui ornent les D’Angelico venaient pour la plupart de l’extérieur : la « bannière » D’Angelico sur la tête étaient faites par la compagnie Louis Handel, tandis que tout le travail de gravure était réalisé par Joseph Schaffner (qui fournissait et gravait aussi les fameux « stairstep » tailpiece), les premiers cordiers étaient fournis par Grover, les mécaniques par Waverly et Grover, enfin les Bindings des années 50 ont une forte tendance à se détériorer par réaction chimique avec le vernis.
- On trouve tout type de micros sur les D’Angelico, les plus courant sont les DeArmond 1100 Rythm Chief et Gibson Johnny Smith flottants.
Voilà l’histoire de Jimmy D’Aquisto étant indissociable de celle de son maître, rendez vous au prochain épisode !!!